Le présent document cadre décrit en détail le cadre juridique international sur lequel repose l’établissement d’un état d’urgence et examine le cas de la France, où l’état d’urgence a été introduit puis prorogé à plusieurs reprises pour finalement devenir permanent.
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En novembre 2015, la France a déclaré l’état d’urgence en réponse immédiate à deux attentats violents survenus à Paris, ayant entraîné 130 morts et près de 500 blessés, dont 100 blessés graves. Bien que l’état d’urgence, tel que consacré par la loi, soit conçu comme une mesure temporaire visant un retour à la normale le plus rapidement possible, dans l’exemple français, l’état d’urgence déclaré a été prolongé cinq fois, jusqu’en novembre 2017, où nombre des mesures d’urgence ont été codifiées et inscrites dans le droit commun. En effet, les restrictions introduites pendant l’état d’urgence temporaire sont devenues permanentes.
Le présent document cadre décrit en détail le cadre juridique international sur lequel repose l’établissement d’un état d’urgence et examine le cas de la France, où l’état d’urgence a été introduit puis prorogé à plusieurs reprises pour finalement devenir permanent.
Les garanties en matière de droits de l’homme ont été considérablement affaiblies par l’introduction de mesures d’urgence qui, avec d’autres mesures, ont permis de mener des opérations de perquisition et de saisie sans contrôle judiciaire allant bien au-delà des limites juridiques qui avaient auparavant été maintenues en vertu du droit français. Les mesures d’urgence ont été appliquées de façon systématique et discriminatoire, visant les musulmans en particulier, qui ont été traités avec méfiance au seul motif de leurs croyances et pratiques religieuses. Au lieu d’être fondées sur des preuves matérielles, des perquisitions basées uniquement sur le soupçon ont pu être menées à bien, et les personnes ciblées ont souvent été stigmatisées dans leurs communautés ou éloignées de leur lieu de travail par la suite, alors qu’aucune preuve ne permettait de suggérer leur implication dans un comportement criminel. Fin 2015, les violences physiques et actions symboliques (telles que des attaques contre des mosquées) envers les musulmans en France avaient augmenté de 150 % et 140 % respectivement.
Au-delà du ciblage systématique des musulmans, les mesures d’urgence ont été utilisées pour justifier la restriction de la liberté de mouvement, de réunion, d’association et d’expression au sein de la société française. Les activistes écologiques, les groupes de solidarité envers les réfugiés, les syndicalistes, les travailleurs et d’autres acteurs et mouvements de la société civile ont été empêchés à plusieurs reprise d’exercer leur droit légitime de protester en vertu des mesures d’urgence. Par ailleurs, le fait que l’état d’urgence ait été prolongé plusieurs fois, alors que des attaques violentes ont continué à se perpétrer et qu’il a été utilisé pour cibler les musulmans, les écologistes et d’autres acteurs de la société civile quand bien même aucun lien avec un comportement criminel n’a été établi, soulève des questions préoccupantes concernant la justification de l’état d’urgence. Au lieu de permettre un retour à une situation « normale » face à la menace du terrorisme, il semble que l’état d’urgence a servi de prétexte pour restreindre les normes fondamentales en matière de droits de l’homme et apaiser la contestation au sein de la société française.
Au moment où de nombreux états du monde entier ont annoncé des mesures d’urgence pour faire face à la pandémie de Covid-19, la France montre qu’il faut être vigilants face à l’état d’urgence et surveiller de près les pouvoirs qui sont octroyés, à qui, dans quel but et combien de temps. L’histoire a montré que les mesures prises dans le cadre de l’état d’urgence tendent à perdurer, entraînant de graves répercussions sur l’exercice des droits humains et le maintien de l’État de droit.